On put voir alors au coin de la rue de la Vannerie, lorsque les chevaux y passèrent, un beau jeune homme de notre connaissance sauter au bas de la borne sur laquelle il était monté, poussé par un enfant qui paraissait quinze à seize ans à peine, et qui paraissait fort ardent à ce terrible spectacle.
C’était le page mystérieux et le vicomte Ernauton de Carmainges.
– Eh ! vite, vite, glissa le page à l’oreille de son compagnon, jetez-vous dans la trouée, il n’y a pas un instant à perdre.
– Mais nous serons étouffés, répondit Ernauton, – vous êtes fou, mon petit ami.
– Je veux voir, – voir de près, dit le page d’un ton si impérieux qu’il était facile de voir que cet ordre partait d’une bouche qui avait l’habitude du commandement.
Ernauton obéit.
– Serrez les chevaux, serrez les chevaux, dit le page ; ne les quittez pas d’une semelle, ou nous n’arriverons pas.
– Mais avant que nous arrivions, vous serez mis en morceaux.
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– Ne vous inquiétez pas de moi. – En avant ! en avant !
– Les chevaux vont ruer.
– Empoignez la queue du dernier ; jamais un cheval ne rue quand on le tient de la sorte.
Ernauton subissait malgré lui l’influence étrange de cet enfant ; il obéit, s’accrocha aux crins du cheval, tandis que de son côté le page s’attachait à sa ceinture.
Et au milieu de cette foule onduleuse comme une mer, épineuse comme un buisson, laissant ici un pan de leur manteau, là un fragment de leur pourpoint, plus loin la fraise de leur chemise, ils arrivèrent en même temps que l’attelage à trois pas de l’échafaud sur lequel se tordait Salcède, dans les convulsions du désespoir.
– Sommes-nous arrivés ? murmura le jeune homme suffoquant et hors d’haleine, quand il sentit Ernauton s’arrêter.
– Oui, répondit le vicomte, – heureusement, – car j’étais au bout de mes forces.
– Je ne vois pas.
– Passez devant moi.
– Non, non, pas encore… Que fait-on ?
– Des nœuds coulants à l’extrémité des cordes.
– Et lui, que fait-il ?
– Qui, lui ?
– Le patient.
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– Ses yeux tournent autour de lui comme ceux de l’autour qui guette.
Les chevaux étaient assez près de l’échafaud pour que les valets de l’exécuteur attachassent aux pieds et aux poings de Salcède les traits fixés à leurs colliers.
Salcède poussa un rugissement quand il sentit autour de ses chevilles le rugueux contact des cordes, qu’un nœud coulant serrait autour de sa chair.
Il adressa alors un suprême, un indéfinissable regard à toute cette immense place dont il embrassa les cent mille spectateurs dans le cercle de son rayon visuel.
– Monsieur, lui dit poliment le lieutenant Tanchon, vous plaît-il de parler au peuple avant que nous ne procédions ?
Et il s’approcha de l’oreille du patient pour ajouter tout bas :
– Un bon aveu… pour la vie sauve.
Salcède le regarda jusqu’au fond de l’âme.
Ce regard était si éloquent qu’il sembla arracher la vérité du cœur de Tanchon et la fit remonter jusque dans ses yeux, où elle éclata.
Salcède ne s’y trompa point ; il comprit que le lieutenant était sincère et tiendrait ce qu’il promettait.
– Vous voyez, continua Tanchon, on vous abandonne ; plus d’autre espoir en ce monde que celui que je vous offre.
– Eh bien ! dit Salcède avec un rauque soupir, faites faire silence, je suis prêt à parler.
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– C’est une confession écrite et signée que le roi exige.
– Alors déliez-moi les mains et donnez-moi une plume, je vais écrire.
– Votre confession ?
– Ma confession, soit.
Tanchon, transporté de joie, n’eut qu’un signe à faire ; le cas était prévu. Un archer tenait toutes choses prêtes : il lui passa l’écritoire, les plumes, le papier, que Tanchon déposa sur le bois même de l’échafaud.
En même temps on lâchait de trois pieds environ la corde qui tenait le poignet droit de Salcède, et on le soulevait sur l’estrade pour qu’il pût écrire.
Salcède, assis enfin, commença par respirer avec force et par faire usage de sa main pour essuyer ses lèvres et relever ses cheveux qui tombaient humides de sueur sur ses genoux.
– Allons, allons, dit Tanchon, mettez-vous à votre aise, et écrivez bien tout.