Les Quarante-cinq. Tome I - страница 14

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En effet, sous un auvent de la première maison après la rue du Mouton, sur la place, quatre vigoureux chevaux du Perche, aux crins blancs, aux pieds chevelus, battaient le pavé avec impatience et se mordaient les uns les autres, en hennissant, au grand effroi des femmes qui avaient choisi cette place de leur bonne volonté, ou qui avaient été poussées de ce côté par la foule.


Ces chevaux étaient neufs ; à peine quelquefois, par hasard, avaient-ils, dans les plaines herbeuses de leur pays natal, supporté sur leur large échine l’enfant joufflu de quelque paysan attardé au retour des champs, lorsque le soleil se couche.


Mais après l’échafaud vide, après les chevaux hennissants, ce qui attirait d’une façon plus constante les regards de la foule, c’était la principale fenêtre de l’Hôtel-de-Ville, tendue de velours rouge et or, et au balcon de laquelle pendait un tapis de velours, orné de l’écusson royal.


C’est qu’en effet cette fenêtre était la loge du roi.


Une heure et demie sonnait à Saint-Jean en Grève, lorsque cette fenêtre, pareille à la bordure d’un tableau, s’emplit de personnages qui venaient poser dans leur cadre.


Ce fut d’abord le roi Henri III, pâle, presque chauve, quoiqu’il n’eût à cette époque que trente-quatre à trente-cinq ans ; l’œil enfoncé dans son orbite bistrée, et la bouche toute frémissante de contractions nerveuses.


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Il entra, morne, le regard fixe, à la fois majestueux et chancelant, étrange dans sa tenue, étrange dans sa démarche, ombre plutôt que vivant, spectre plutôt que roi ; mystère toujours incompréhensible et toujours incompris pour ses sujets, qui, en le voyant paraître, ne savaient jamais s’ils devaient crier : Vive le roi ! ou prier pour son âme.


Henri était vêtu d’un pourpoint noir passementé de noir ; il n’avait ni ordre ni pierreries ; un seul diamant brillait à son toquet, servant d’agrafe à trois plumes courtes et frisées. Il portait dans sa main gauche un petit chien noir que sa bellesœur, Marie Stuart, lui avait envoyé de sa prison, et sur la robe soyeuse duquel brillaient ses doigts fins et blancs comme des doigts d’albâtre.


Derrière lui venait Catherine de Médicis, déjà voûtée par l’âge, car la reine-mère pouvait avoir à cette époque de soixante-six à soixante-sept ans, mais pourtant encore la tête ferme et droite, lançant sous son sourcil froncé par l’habitude un regard acéré, et, malgré ce regard, toujours mate et froide comme une statue de cire sous ses habits de deuil éternel.


Sur la même ligne apparaissait la figure mélancolique et douce de la reine Louise de Lorraine, femme de Henri III, compagne insignifiante en apparence, mais fidèle en réalité, de sa vie bruyante et infortunée.


La reine Catherine de Médicis marchait à un triomphe.


La reine Louise assistait à un supplice.


Le roi Henri traitait là une affaire.


Triple nuance qui se lisait sur le front hautain de la première, sur le front résigné de la seconde, et sur le front nuageux et ennuyé du troisième.


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Derrière les illustres personnages que le peuple admirait, si pâles et si muets, venaient deux beaux jeunes gens : l’un de vingt ans à peine, l’autre de vingt-cinq ans au plus.


Ils se tenaient par le bras, malgré l’étiquette qui défend devant les rois, – comme à l’église devant Dieu, – que les hommes paraissent s’attacher à quelque chose.


Ils souriaient :


Le plus jeune avec une tristesse ineffable, l’aîné avec une grâce enchanteresse : ils étaient beaux, ils étaient grands, ils étaient frères.


Le plus jeune s’appelait Henri de Joyeuse, comte de Bouchage ; l’autre, le duc Anne de Joyeuse. Récemment encore il n’était connu que sous le nom d’Arques ; mais le roi Henri, qui l’aimait par-dessus toutes choses, l’avait fait, depuis un an, pair de France, en érigeant en duché-pairie la vicomte de Joyeuse.


Le peuple n’avait pas pour ce favori la haine qu’il portait autrefois à Maugiron, à Quélus et à Schomberg, haine dont d’Épernon seul avait hérité.


Le peuple accueillit donc le prince et les deux frères par de discrètes, mais flatteuses acclamations.


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