Vingt mille lieues sous les mers - страница 5

Шрифт
Интервал

стр.

Or, cette dernière hypothèse, admissible après tout, ne put résister aux enquêtes qui furent poursuivies dans les deux mondes. Qu’un simple particulier eût à sa disposition un tel engin mécanique, c’était peu probable. Où et quand l’eût-il fait construire, et comment aurait-il tenu cette construction secrète ?

Seul, un gouvernement pouvait posséder une pareille machine destructive, et, en ces temps désastreux où l’homme s’ingénie à multiplier la puissance des armes de guerre, il était possible qu’un État essayât à l’insu des autres ce formidable engin. Après les chassepots, les torpilles, après les torpilles, les béliers sous-marins, puis, – la réaction. Du moins, je l’espère.

Mais l’hypothèse d’une machine de guerre tomba encore devant la déclaration des gouvernements. Comme il s’agissait là d’un intérêt public, puisque les communications transocéaniennes en souffraient, la franchise des gouvernements ne pouvait être mise en doute. D’ailleurs, comment admettre que la construction de ce bateau sous-marin eût échappé aux yeux du public ? Garder le secret dans ces circonstances est très difficile pour un particulier, et certainement impossible pour un État dont tous les actes sont obstinément surveillés par les puissances rivales.

Donc, après enquêtes faites en Angleterre, en France, en Russie, en Prusse, en Espagne, en Italie, en Amérique, voire même en Turquie, l’hypothèse d’un Monitor sous-marin fut définitivement rejetée.

Le monstre revint donc à flot, en dépit des incessantes plaisanteries dont le lardait la petite presse et, dans cette voie, les imaginations se laissèrent bientôt aller aux plus absurdes rêveries d’une ichtyologie fantastique.

À mon arrivée à New York, plusieurs personnes m’avaient fait l’honneur de me consulter sur le phénomène en question. J’avais publié en France un ouvrage in-quarto en deux volumes intitulé : Les Mystères des grands fonds sous-marins. Ce livre, particulièrement goûté du monde savant, faisait de moi un spécialiste dans cette partie assez obscure de l’histoire naturelle. Mon avis me fut demandé. Tant que je pus nier la réalité du fait, je me renfermai dans une absolue négation. Mais bientôt, collé au mur, je dus m’expliquer catégoriquement. Et même, « l’honorable Pierre Aronnax, professeur au Muséum de Paris », fut mis en demeure par le New York Herald de formuler une opinion quelconque.

Je m’exécutai. Je parlai, faute de pouvoir me taire. Je discutai la question sous toutes ses faces, politiquement et scientifiquement, et je donne ici un extrait d’un article très nourri que je publiai dans le numéro du 30 avril.

« Ainsi donc, disais-je, après avoir examiné une à une les diverses hypothèses, toute autre supposition étant rejetée, il faut nécessairement admettre l’existence d’un animal marin d’une puissance excessive.

« Les grandes profondeurs de l’océan nous sont totalement inconnues. La sonde n’a su les atteindre. Que se passe-t-il dans ces abîmes reculés ? Quels êtres habitent et peuvent habiter à douze ou quinze milles au-dessous de la surface des eaux ? Quel est l’organisme de ces animaux ? On saurait à peine le conjecturer.

« Cependant, la solution du problème qui m’est soumis peut affecter la forme du dilemme.

« Ou nous connaissons toutes les variétés d’êtres qui peuplent notre planète, ou nous ne les connaissons pas.

« Si nous ne les connaissons pas toutes, si la nature a encore des secrets pour nous en ichtyologie, rien de plus acceptable que d’admettre l’existence de poissons ou de cétacés, d’espèces ou même de genres nouveaux, d’une organisation essentiellement « fondrière », qui habitent les couches inaccessibles à la sonde, et qu’un événement quelconque, une fantaisie, un caprice, si l’on veut, ramène à de longs intervalles vers le niveau supérieur de l’océan.

« Si, au contraire, nous connaissons toutes les espèces vivantes, il faut nécessairement chercher l’animal en question parmi les êtres marins déjà catalogués, et dans ce cas, je serais disposé à admettre l’existence d’un Narval géant.


стр.

Похожие книги