Si elle attend pour venir me rejoindre le retour de la navigation, il faut compter qu’elle ne pourra guères partir avant les derniers jours du mois de mai. C’est donc, à compter du 1>er décembre, six mois entiers. Papa a eu la bonté de lui avancer la somme de 1600 r. Il est bien entendu que c’est une avance faite sur ma pension de l’année prochaine. Il me reste donc à toucher encore pour le compte de cette pension 4400 r. Or je viens d’écrire à ma femme que cette somme de 4400 je la mettais à sa disposition pour les 6 mois de son séjour à Pétersb. Cela laissera un peu plus de 700 r par mois, et certes, en égard à la cherté de l’endroit, c’est à peine suffisant pour vivre. Je voudrais de plus que la moitié de la dite somme lui soit remise au mois de décembre prochain et l’autre moitié au mois de mars. Maintenant que papa me dit s’il croit pouvoir accepter cet arrangement. Car au cas où il ne pouvait pas, j’ai envoyé à Nelly une procuration pour le Ministère à l’effet de le faire payer sur les lieux mon traitement, aussi que tout autre argent qui pourrait m’échoir. Mais elle ne ferait usage de cette procuration que s’il y avait lieu. Car je vous avoue que pour bien de raisons je préférerais de beaucoup l’arrangement proposé. Cela éviterait des démarches inutiles et beaucoup de faux frais. Quant à moi, ne soyez pas en peine, je vous supplie. Mes finances particulières sont dans l’état le plus brillant. J’ai dans ce moment 3000 r bien comptés. J’aurai au mois de janvier mon trimestre qui est de 2500 r. En ne dépensant que 800 r p m pour mon existence, je puis pour cette somme de 5500 économiser facilement au moins 2000 r au profit de la seconde moitié de l’année prochaine, et dans cette seconde moitié je puis avec une presque certitude compter sur quatre mois de traitement de ch d’aff. Ainsi encore une fois ne soyez pas en peine de moi. L’essentiel pour moi, et de beaucoup l’essentiel, c’est d’assurer à Nelly, pour le temps qu’elle a à passer à Pétersb une existence un peu tolérable et vous ne pourriez pas m’accorder un plus grand bienfait qu’en me mettant à même de réaliser ce vœu. Veuillez, je vous supplie, vous entendre avec elle pour qu’elle sache à quoi s’en tenir et si elle sera ou non dans le cas de faire usage de la procuration que je lui ai envoyée>*.
Dans la lettre que je lui ai écrite hier, j’ai oublié de lui recommander une chose qui est de quelque intérêt pour moi, et je vous serai fort obligé, si vous vous chargiez de lui en parler.
Je désire qu’aussitôt qu’elle apprendra l’arrivée à Pétersb de la Comtesse Sollogoub>*, tante de Mad. Obrescoff, et en correspondance faite avec celle-ci, elle ne néglige pas de faire sa connaissance et qu’elle lui dise à quel point je suis reconnaissant envers les Obrescoff de l’accueil que j’ai trouvé chez eux. Je tiens, je l’avoue, que l’on sache à Pétersb mes sentiments à leur égard. C’est presque comme une réparation que je vois leur devoir.
Cette lettre, chère maman, maintenant que la navigation est fermée et les chemins détestables, n’arrivera que peu de jours avant votre fête et celle de ma fille>*. Embrassez-la pour moi et bénissez-la. L’idée de vous savoir tous réunis — tous les êtres que j’aime le mieux au monde, réunis et parlant quelquefois de moi — cette idée est la seule qui me console par moments de mon isolement actuel. Mais d’autrefois elle fut que je ne le sens que plus vivement. Comment se porte Dorothée et son enfant? Mille amitiés à Ник<олай> В<асильевич>.
Et Nicolas, que fait-il? Vous écrit-il? Viendra-t-il cet hiver vous voir? Ah, si lui encore devait venir compléter la réunion — alors — mais quoi alors? Je n’en resterai pas moins à Turin avec un peu plus de peine et de tristesse et d’envie. Mais j’y resterai.
Mille amitiés à tous ceux qui se souviennent de moi.
Жуковский est-il de retour?>* pas encore, probablement. Mais dès qu’il sera revenu, tâchez de vous rapprocher de lui, à mon intention, et recommandez aussi à Nelly de faire sa connaissance et de la cultiver.