Тютчевым И. Н. и Е. Л., 1/13 ноября 1837>*
39. И. Н. и Е. Л. ТЮТЧЕВЫМ 1/13 ноября 1837 г. Турин
Turin. Ce 1/13 novbre 1837
Chers papa et maman. Vous devez, je suppose, avoir reçu à l’heure qu’il est la première lettre que je vous ai écrite d’ici>* et j’espère que cette lettre vous aura complètement tranquillisé sur mon compte. Encore une fois pardon des inquiétudes que j’ai pu vous avoir causées. Me voilà depuis bientôt un mois à Turin, et ce temps a suffi pour me permettre de me former une opinion probablement définitive sur son compte. — Comme poste, comme service, comme gagne-pain, en un mot, Turin est certainement un des meilleurs postes qu’il y ait. D’abord, pour ce qui est des affaires il n’y en a pas. Obrescoff est vis-à-vis de moi d’une amabilité qui ne laisse rien à désirer — et pour ce rapport je ne saurais lui faire une réparation assez éclatante des préventions que j’avais commis contre lui sur la foi de la médisance publique. Le traitement de la place sans être considérable est pourtant de 8000 roubles. Et quant aux prix d’ici, ils sont tels qu’avec le double de cette somme un ménage à la rigueur peut se tirer d’affaire. De plus, j’ai pour l’automne prochain la perspective de rester ch d’affs pendant une année entière. Voilà le bon côté de la chose. Mais ensuite, comme séjour, comptez que Turin est un des plus tristes et des plus maussades que le bon Dieu ait créés. Nulle société. Le corps diplomatique, peu nombreux, peu uni, est, en dépit de toutes les avances, complètement isolé des indigènes. Aussi y est-il peu d’employés diplomatiques qui ne se considèrent ici comme en exil. Obrescoff, p ex, qui après cinq ans de résidence et malgré ses excellents dîners et ses trois bals par semaine dans la saison — et sa jolie femme — n’est pas parvenu à attirer assez de monde pour s’assurer une partie de whist. Et il en est de même de tous ses collègues. En un mot, comme société et comme sociabilité Turin est de tout point le contre-pied de Munich. Mais encore une fois, c’est peut-être la manière la plus commode de gagner 8000 r par an.
Ce matin, au moment où j’écrivais ceci, un homme est entré dans ma chambre qui m’a remis de votre part un paquet de livres russes et votre lettre du 24 septembre. Grand merci pour l’un et pour l’autre. Quant aux inquiétudes exprimées dans votre lettre sur mon arrivée tardive à Turin, je crois déjà vous avoir suffisamment rassurés à ce sujet.
Maintenant laissez-moi vous parler de ce qui me préoccupe à l’exclusion de toute autre chose au monde, et cela, je puis bien le dire avec vérité à chaque instant de la journée. C’est de ma femme que je veux vous parler. J’ai appris par une lettre que j’ai reçue d’elle il y a une dizaine de jours sa résolution définitive de passer l’hiver à Pétersbourg. Certes, c’était là pour elle, aussi bien que pour moi, une dure, bien dure nécessité, plus dure et plus cruelle, que moi, je ne puis le dire, ni que qui que ce soit au monde peut l’imaginer. Mais il n’y avait pas à balancer. Il y aurait la folie évidente, faible de santé, comme elle est, et avec trois enfants sur les bras, d’entreprendre un pareil voyage dans cette saison. Elle a donc bien fait de rester. Je l’approuve et remercie tous ceux qui le lui ont conseillé. Maintenant, pour ce qui me concerne, il n’y a qu’une seule chose qui puisse adoucir un peu pour moi l’amertume de la séparation. C’est la certitude de la savoir à Pétersbourg le moins mal possible. C’est pourquoi, chers papa et maman, je vous la recommande encore une fois et cela avec les plus vives instances. Il serait inutile de chercher à vous expliquer de quelle nature sont mes sentiments pour elle. Elle les connaît et cela suffit. Laissez-moi vous dire seulement ceci: c’est que le moindre petit bien qui lui sera fait, aura cent fois plus de valeur à mes yeux que les plus grandes faveurs perpétuelles qui pourraient m’être accordées. Voilà ce que j’ai décidé relativement à son entretien pour le temps qu’elle a à passer à P<étersbourg>, et je vous saurai un gré infini si vous consentez à y souscrire…