Как я уже говорил, милостивый государь граф, служба доставляет мне средства к жизни. Уверяю вас, я бы не стал останавливаться на этом обстоятельстве, ежели бы я был один… но у меня жена и двое детей>*. Конечно, никто лучше меня не понимает, что женитьба в столь непрочном, зависимом состоянии, как мое, есть самая непростительная ошибка. Я сознаю это, поскольку уже 7 лет расплачиваюсь за нее>*. Но я был бы глубоко несчастлив, ежели бы за мою ошибку расплачивались три совершенно невинных существа.
Впрочем, ежели и существует страна, где бы я льстил себя надеждой приносить некоторую пользу службой, так это решительно та, в коей я ныне нахожусь. Длительное пребывание здесь, благодаря последовательному и серьезному изучению страны, продолжающемуся поныне, как по внутреннему влечению, так и по чувству долга, позволило мне приобрести совершенно особое знание людей и предметов, ее языка, истории, литературы, общественного и политического положения, — в особенности той ее части, где я служу. Все эти причины купно дают мне некоторое право надеяться, что, по крайней мере, здесь я смогу должным образом оправдать милость, о коей прошу… И позвольте добавить в заключение, что ежели бы речь шла единственно о продвижении по службе, я бы не стал так беспокоиться. Но это есть вопрос жизни: и вам, милостивый государь граф, решать его>*, это обстоятельство ободряет меня…
Честь имею пребывать с совершенным уважением, милостивый государь граф, вашего сиятельства
нижайший и покорнейший слуга
Ф. Тютчев
Гагарину И. С., 20–21 апреля/2-3 мая 1836>*
28. И. С. ГАГАРИНУ 20–21 апреля/2-3 мая 1836 г. Мюнхен
Munich. Ce 2 mai 1836
Mon bien cher ami. J’ose à peine espérer qu’en revoyant mon écriture vous n’éprouviez plutôt une impression pénible qu’agréable. Ma conduite à votre égard est inqualifiable dans toute la vague énergie de ce mot. Et quelle que soit ou quelle qu’ait été votre amitié pour moi, quelle que soit l’aptitude de votre esprit à comprendre les excentricités les plus extravagantes du caractère ou de l’esprit d’autrui, je désespère en vérité de vous expliquer mon silence. Sachez que depuis des mois ce maudit silence me pèse comme un cauchemar, qu’il m’étouffe, qu’il m’étrangle… et bien que pour le dissiper il eût suffi d’un très léger mouvement des doigts… jusqu’à l’heure d’aujourd’hui je ne suis pas parvenu à effectuer ce mouvement sauveur, à rompre ce sortilège.
Je suis un exemple vivant de cette fatalité, si morale et si logique, qui fait de chaque vice sortir le châtiment qui lui est dû. Je suis un apologue, une parabole, destinée à prouver les détestables conséquences de la paresse… Car enfin c’est cette maudite paresse qui est le mot de l’énigme. C’est elle qui, en grossissant de plus en plus mon silence, a fini par m’en accabler comme sous une avalanche. C’est elle qui a dû me donner à vos yeux toutes les apparences de l’indifférence la plus brutale, de la plus stupide insensibilité. Et Dieu sait pourtant, mon ami, qu’il n’en est rien. En écartant les phrases, je ne vous dirai que ceci: depuis l’instant de notre séparation, il ne s’est pas passé un jour que vous ne m’ayez manqué. Croyez, mon cher Gagarine, qu’il y a peu d’amoureux qui pourrait en conscience en dire autant à sa maîtresse.
Toutes vos lettres m’ont fait grand plaisir, toutes ont été lues et relues… A chacune d’entr’elles j’ai fait au moins vingt réponses. Est-ce ma faute si elles ne vous sont pas parvenues, faute d’avoir été écrites. Ah, l’écriture est un terrible mal, c’est comme une seconde chute pour la pauvre intelligence, comme un redoublement de matière… Je sens que si je me laissais aller, je vous écrirais une bien longue, longue lettre, tendante uniquement à vous prouver l’insuffisance, l’inutilité, l’absurdité des lettres… Mon Dieu, comment peut-on écrire? Tenez, voilà une chaise vide auprès de moi, voilà des cigares, voilà du thé… Venez, asseyez-vous et causons. — Ah oui… causons comme nous l’avons si souvent fait, comme je ne le fais plus.
Mon cher Gagarine, vous vous tromperiez beaucoup si vous jugiez par ce commencement de lettre (que je ne suis pas sûr d’achever) de l’état habituel et réel de mon humeur… Et, pour ne parler que du moment présent, les Krüdener, qui nous quittent demain