Tel est le fait dans sa vérité vraie, sa cause est toute physique. C’est un transport au cerveau. Vous qui la connaissez et qui connaissez tout l’ensemble de la position, vous n’en douterez pas un instant. Et j’attends de votre amitié, mon cher Gagarine, que s’il arrivait qu’en votre présence on cherchât à représenter la chose sous un jour plus romanesque peut-être, mais complètement faux, vous démentiez hautement les absurdes versions>*. Le roman est devenu si lieu commun, que même sous le rapport de l’intérêt tous les bons esprits doivent préférer un fait physiologique à une aventure romanesque…
Ayant appris que je vous écrivais, elle me charge de mille amitiés pour vous… Dans le paquet, qu’elle vous envoie, le portefeuille est pour vous et le portrait pour son fils Charles>*, auquel vous aurez la complaisance de le faire remettre, en l’instruisant prudemment et avec discrétion de l’accident arrivé à sa mère…
Je ne vous parle pas de mes affaires de service par la même raison qui fait que ne lis jamais dans les journaux les articles concernant la Suisse. C’est trop plat et trop ennuyeux. Mr le Vice-Chancelier est pis que le beau-père de Jacob. Au moins celui-là n’a fait travailler son gendre que 7 ans pour obtenir Lia, pour moi la mesure a été doublée>*. Ils ont raison après tout. N’ayant jamais pris le service au sérieux, il est juste que le service aussi se moque de moi. En attendant, ma position se fausse de plus en plus… Je ne puis songer à retourner en Russie par la simple et excellente raison que je ne saurai comment faire pour y exister, et d’autre part, je n’ai pas le moindre petit motif raisonnable, pour persévérer dans une carrière qui ne m’offre aucune chance d’avenir. Le malheureux événement qui vient d’avoir lieu pourra, je le crains, contribuer à empirer encore ma position. On s’imaginera peut-être à Pétersbourg que ce serait me rendre un très grand service que de me déplacer à tout prix de Munich et rien n’est plus faux. Je ne demande pas mieux que de le quitter, mais au prix d’un avancement réel, autrement… Brisons là. Il est honteux de tant parler de soi, et surtout parfaitement ennuyeux.
Bien des remerciements pour le volume de poésies>* que vous m’avez envoyé. Il y a là de l’inspiration, et ce qui est d’un bon augure pour l’avenir, il y a à côté d’un élément idéal très développé le goût du réel et du sensible, voire même du sensuel… Ce n’est pas un mal… La poésie, pour fleurir, doit avoir ses racines en terre… C’est une chose remarquable que ce torrent de lyrisme qui inonde l’Europe, et cela tient pourtant, en grande partie, à une circonstance très simple, au mécanisme perfectionné des langues et de la versification. Tout homme à un certain âge de la vie est poète lyrique. Il ne s’agit que de lui dénouer la langue.
Vous m’avez demandé de vous envoyer mes paperasses>*. Je vous ai pris au mot. J’ai saisi cette occasion pour m’en débarrasser. Faites-en ce que vous voudrez. J’ai en horreur le vieux papier écrit, surtout écrit par moi. Cela sent le rance à soulever le cœur…
Adieu, mon bien cher ami. Et si vous êtes toujours le même, si vous êtes toujours indulgent et compréhensif, amnistiez-moi et écrivez-moi. Je vous promets de vous répondre. Quant à cette lettre-ci, ce n’est rien. Considérez-la comme non avenue. C’est le geste d’un homme qui tousse et se mouche avant de commencer à parler. Rien de plus.
Mes hommages à vos parents>*. T. Tutchef
Перевод
Мюнхен. 2 мая 1836
Любезнейший друг. Едва смею надеяться, что, вновь увидав мое писание, вы не испытаете чувства скорее тягостного, нежели приятного. Мое поведение по отношению к вам неслыханно во всей туманной выразительности этого слова. И каким бы ни было, в настоящем или прошедшем, ваше дружеское ко мне расположение, как бы ни умели вы понимать самые невероятные странности в характере и уме ближнего, я поистине отчаиваюсь объяснить вам мое молчание. А надобно вам знать, что долгие месяцы это проклятое молчание гнетет меня как кошмар, что оно меня душит, давит… и хотя для того, чтобы нарушить его, достаточно было бы лишь слегка пошевелить пальцами… до сей минуты мне не удавалось сделать это спасительное усилие, прогнать это наваждение.