Том 3. Публицистические произведения - страница 6

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Et maintenant, pour se rendre un compte vrai de la situation actuelle des choses, on ne saurait assez se pénétrer d’une vérité, c’est que depuis cette intervention de l’Orient constitué dans les affaires de l’Occident, tout est changé en Europe: jusque-là vous y étiez à deux, maintenant nous y sommes à trois. Les longues luttes y sont devenues impossibles.

De l’état actuel des choses peuvent sortir les trois combinaisons suivantes, les seules possibles désormais. L’Allemagne, alliée fidèle de la Russie, gardera sa prépondérance au centre de l’Europe; ou bien cette prépondérance passerait aux mains de la France. Or, savez-vous, monsieur, ce que serait pour vous la prépondérance aux mains de la France? Ce serait, sinon la mort subite, au moins dépérissement certain de l’Allemagne. Reste la troisième combinaison, celle qui sourirait peut-être le plus à certaines gens: l’Allemagne alliée à la France contre la Russie… Hélas, monsieur, cette combinaison a déjà été essayée en 1812 et, comme vous savez, elle a eu peu de succès. D’ailleurs je ne pense pas qu’après l’issue des trente années qui viennent de s’écouler, l’Allemagne fût d’humeur à accepter les conditions d’existence d’une nouvelle confédération du Rhin: car toute alliance intime avec la France ne peut jamais être que cela, pour l’Allemagne, et savez-vous, monsieur, ce que la Russie a entendu faire, lorsque, intervenant dans cette lutte engagée entre les deux principes, les deux grandes nationalités qui depuis des siècles se disputaient l’Occident européen, elle l’a décidée au profit de l’Allemagne, du principe germanique? Elle a voulu donner gain de cause une fois pour toutes au droit, à la légitimité historique, sur le procédé révolutionnaire. Et pourquoi a-t-elle voulu cela? Parce que le droit, la légitimité historique, c’est sa cause à elle, sa cause propre, la cause de bon avenir, c’est là le droit qu’elle réclame pour elle-même et pour les siens. Il n’y a que la plus aveugle ignorance, celle qui ferme volontairement les yeux à la lumière, qui puisse encore méconnaître cette grande vérité, car enfin n’est-ce pas au nom de ce droit, de cette légitimité historique, que la Russie a relevé toute une race, tout un monde de sa déchéance, qu’elle l’a appelé à vivre de sa vie propre, qu’elle lui a rendu son autonomie, qu’elle l’a constitué? Et c’est aussi au nom de ce même droit qu’elle saura bien empêcher que les faiseurs d’expériences politiques ne viennent arracher ou escamoter des populations entières à leur centre d’unité vivante, pour pouvoir ensuite plus aisément les tailler et les façonner comme des choses mortes, au gré de leurs mille fantaisies, qu’ils ne viennent en un mot détacher des membres vivants du corps auquel ils appartiennent, sous prétexte de leur assurer par là une plus grande liberté de mouvement…

L’immortel honneur du Souverain qui est maintenant sur le trône de Russie, c’est de s’être fait plus pleinement, plus énergiquement qu’aucun de ses devanciers le représentant intelligent et inflexible de ce droit, de cette légitimité historique. Une fois que son choix a été fait, l’Europe sait si depuis trente ans la Russie y est restée fidèle. On peut affirmer, l’histoire à la main, qu’il serait bien difficile de trouver dans les annales politiques du monde un second exemple d’une alliance aussi profondément morale que celle qui unit depuis trente ans les souverains de l’Allemagne à la Russie, et c’est ce grand caractère de moralité qui l’a fait durer, qui l’a aidée à résoudre bien des difficultés, à surmonter bien des obstacles, et maintenant, après l’épreuve des bons et des mauvais jours, cette alliance a triomphé d’une dernière épreuve, la plus significative de toutes: l’inspiration qui l’avait fondée s’est transmise, sans choc et sans altération, des premiers fondateurs à leurs héritiers.

Eh bien, monsieur, demandez à vos gouvernements si depuis ces trente années la sollicitude de la Russie pour les grands intérêts politiques de l’Allemagne s’est démentie un seul instant? Demandez aux hommes qui ont été dans les affaires si maintes fois et sur bien des questions cette sollicitude n’a pas devancé vos propres inspirations patriotiques? Vous voilà depuis quelques années vivement préoccupés en Allemagne de la grande question de l’unité germanique. Il n’en a pas toujours été ainsi, vous le savez. Moi qui depuis longtemps demeure parmi vous, je pourrais au besoin me rappeler l’époque précise où cette question a commencé à passionner les esprits; assurément il était peu question de cette unité, au moins dans la presse, à l’époque où il n’y avait pas de feuille libérale qui ne se crût obligée en conscience de saisir chaque occasion d’adresser à l’Autriche et à son gouvernement les mêmes injures que l’on prodigue maintenant à la Russie… C’est donc là une préoccupation très louable, très légitime à coup sûr, mais d’une date assez récente. La Russie, il est vrai, n’a jamais prêché l’unité de l’Allemagne; mais depuis trente ans elle n’a cessé dans toutes les occasions et sur tous les tons de recommander à l’Allemagne l’union, la concorde, la confiance réciproque, la subordination volontaire des intérêts particuliers à la grande cause de l’intérêt général, et ces conseils, ces exhortations, elle ne s’est pas lassée de les reproduire, de les multiplier, avec toute cette énergique franchise d’un zèle qui se sait parfaitement désintéressé.


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