Том 3. Публицистические произведения - страница 5

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Pendant longtemps la manière dont on a compris la Russie, dans l’Occident, a ressemblé, à quelques égards, aux premières impressions des contemporains de Colomb. C’était la même erreur, la même illusion d’optique. Vous savez que pendant longtemps les hommes de l’ancien continent, tout en applaudissant à l’immortelle découverte, s’étaient obstinément refusés à admettre l’existence d’un continent nouveau; ils trouvaient plus simple et plus rationnel de supposer que les terres qui venaient de leur être révélées n’étaient que l’appendice, le prolongement du continent qu’ils connaissaient déjà. Ainsi en a-t-il été des idées qu’on s’est longtemps faites de cet autre nouveau monde, l’Europe orientale, dont la Russie a de tout temps été l’âme, le principe moteur et auquel elle était appelée à imposer son glorieux nom, pour prix de l’existence historique que ce monde a déjà reçue d’elle, ou qu’il en attend… Pendant des siècles, l’Occident européen avait cru avec une bonne foi parfaite qu’il n’y avait point, qu’il ne pouvait pas y avoir d’autre Europe que lui. Il savait, à la vérité, qu’au-delà de ses frontières il y avait encore des peuples, des souverainetés, qui se disaient chrétiens; aux temps de sa puissance il avait même entamé les bords de ce monde sans nom, il en avait arraché quelques lambeaux qu’il s’était incorporés tant bien que mal, en les dénaturant, en les dénationalisant; mais que, par-delà cette limite extrême, il y eût une autre Europe, une Europe orientale, sœur bien légitime de l’Occident chrétien, chrétienne comme lui, point féodale, point hiérarchique, il est vrai, mais par-là même plus intimement chrétienne; qu’il y eût là tout un Monde, Un dans son Principe, solidaire de ses parties, vivant de sa vie propre, organique, originale: voilà ce qu’il était impossible d’admettre, voilà ce que bien des gens aimeraient à révoquer en doute, même de nos jours… Longtemps l’erreur avait été excusable; pendant des siècles le principe moteur était resté comme enseveli sous le chaos: son action avait été lente et presque imperceptible; un épais nuage enveloppait cette lente élaboration d’un monde… Mais enfin, quand les temps furent accomplis, la main d’un géant abattit le nuage, et l’Europe de Charlemagne se trouva face à face avec l’Europe de Pierre le Grand…

Ceci une fois reconnu, tout devient clair, tout s’explique: on comprend maintenant la véritable raison de ces rapides progrès, de ces prodigieux accroissements de la Russie, qui ont étonné le monde. On comprend que ces prétendues conquêtes, ces prétendues violences ont été l’œuvre la plus organique et la plus légitime que jamais l’histoire ait réalisée, c’était tout bonnement une immense restauration qui s’accomplissait. On comprendra aussi pourquoi on a vu successivement périr et s’éffacer sous sa main tout ce que la Russie a rencontré sur sa route de tendances anormales, de pouvoirs et d’institutions infidèles au grand principe qu’elle représentait… pourquoi la Pologne a dû périr… non pas l’originalité de sa race polonaise, à Dieu ne plaise, mais la fausse civilisation, la fausse nationalité, qui lui avaient été imputées. C’est aussi de ce point de vue que l’on appréciera le mieux la véritable signification de ce qu’on appelle la question de l’Orient, de cette question que l’on affecte de proclamer insoluble, précisément parce que tout le monde en a depuis longtemps prévu l’inévitable solution… Il s’agit en effet de savoir si l’Europe orientale, déjà aux trois quarts constituée, si ce véritable empire de l’Orient, dont le premier, celui des césars de Byzance, des anciens empereurs orthodoxes, n’avait été qu’une faible et imparfaite ébauche, si l’Europe orientale recevra ou non son dernier, son plus indispensable complément, si elle l’obtiendra par le progrès naturel des choses, ou si elle se verra forcée de le demander à la fortune par les armes, au risque des plus grandes calamités pour le monde. Mais revenons à notre sujet.

Voilà, monsieur, quel était le tiers dont l’arrivée sur le théâtre des événements a brusquement décidé le duel séculaire de l’Occident européen; la seule apparition de la Russie dans vos rangs y a ramené l’unité, et l’unité vous a donné la victoire.


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