Les Quarante-cinq. Tome II - страница 5

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– Monsieur Brigard, vous parlez d’or, dit le duc ; oui, vous êtes honnêtes, je le sais bien, et vous ne souffrirez dans vos rangs aucun mélange.


– Oh ! non, non ! s’écrièrent plusieurs voix ; pas de lie avec le bon vin.


– À merveille ! dit le duc, voilà parler. Maintenant, voyons : ça, monsieur le lieutenant de la prévôté, y a-t-il beaucoup de fainéants et de mauvais peuple dans l’Île-de-France ?


Nicolas Poulain, qui ne s’était pas mis une seule fois en avant, s’avança comme malgré lui.


– Oui, certes, monseigneur, dit-il, il n’y en a que trop.


– Pouvez-vous nous donner à peu près le chiffre de cette populace ?


– Oui, à peu près.


– Estimez donc, maître Poulain.


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Poulain se mit à compter sur ses doigts.


– Voleurs, trois à quatre mille ;


Oisifs et mendiants, deux mille à deux mille cinq cents ; Larrons d’occasion, quinze cents à deux mille ; Assassins, quatre à cinq cents.


– Bon ! voilà, au bas chiffre, six mille ou six mille cinq cents gredins de sac et de corde. À quelle religion appartiennent ces gens-là ?


– Plaît-il, monseigneur ? interrogea Poulain.


– Je demande s’ils sont catholiques ou huguenots.


Poulain se mit à rire.


– Ils sont de toutes les religions, monseigneur, dit-il, ou plutôt d’une seule : leur Dieu est l’or, et le sang est leur prophète.


– Bien, voilà pour la religion religieuse, si l’on peut dire cela ; et maintenant, en religion politique, qu’en dirons-nous ?

Sont-ils valois, ligueurs, politiques zélés, ou navarrais ?


– Ils sont bandits et pillards.


– Monseigneur, ne supposez pas, dit Crucé, que nous irons jamais prendre ces gens pour alliés.


– Non, certes, je ne le suppose pas, monsieur Crucé, et c’est bien ce qui me contrarie.


– Et pourquoi cela vous contrarie-t-il, monseigneur ?

demandèrent avec surprise quelques membres de la députation.

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– Ah ! c’est que, comprenez bien, messieurs, ces gens-là qui n’ont pas d’opinion, et qui par conséquent ne fraternisent pas avec vous, voyant qu’il n’y a plus à Paris de magistrats, plus de force publique, plus de royauté, plus rien enfin de ce qui les contient encore, se mettront à piller vos boutiques pendant que vous ferez la guerre, et vos maisons pendant que vous occuperez le Louvre : tantôt ils se mettront avec les Suisses contre vous, tantôt avec vous contre les Suisses, de façon qu’ils seront toujours les plus forts.


– Diable, firent les députés en se regardant entre eux.


– Je crois que c’est assez grave pour qu’on y pense, n’est-ce pas, messieurs ? dit le duc. Quant à moi, je m’en occupe fort, et je chercherai un moyen de parer à cet inconvénient, car votre intérêt avant le nôtre, c’est la devise de mon frère et la mienne.


Les députés firent entendre un murmure d’approbation.


– Messieurs, maintenant permettez à un homme qui a fait vingt-quatre lieues à cheval dans sa nuit et dans sa journée, d’aller dormir quelques heures ; il n’y a pas péril dans la demeure, quant à présent du moins, tandis que si vous agissez il y en aurait : ce n’est point votre avis peut-être ?


– Oh ! si fait, monsieur le duc, dit Brigard.


– Très bien.


– Nous prenons donc bien humblement congé de vous, monseigneur, continua Brigard, et quand vous voudrez bien nous fixer une nouvelle réunion…


– Ce sera le plus tôt possible, messieurs, soyez tranquilles, dit Mayenne ; demain peut-être, après-demain au plus tard.


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Et prenant effectivement congé d’eux, il les laissa tout étourdis de cette prévoyance qui avait découvert un danger auquel ils n’avaient pas même songé.


Mais à peine avait-il disparu qu’une porte cachée dans la tapisserie s’ouvrit et qu’une femme s’élança dans la salle.


– La duchesse ! s’écrièrent les députés.


– Oui, messieurs ! s’écria-t-elle, et qui vient vous tirer d’embarras, même !


Les députés qui connaissaient sa résolution, mais qui en même temps craignaient son enthousiasme, s’empressèrent autour d’elle.


– Messieurs, continua la duchesse en souriant, ce que n’ont pu faire les Hébreux, Judith seule l’a fait ; espérez, moi aussi, j’ai mon plan.


Et présentant aux ligueurs deux blanches mains, que les plus galants baisèrent, elle sortit par la porte qui avait déjà donné passage à Mayenne.


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