56
Pour s’établir dans le monde, on fait tout ce que l’on peut pour y paraître établi.
57
Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d’un grand dessein, mais des effets du hasard.
58
Il semble que nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses à qui elles doivent une grande partie de la louange et du blâme qu’on leur donne.
59
Il n’y a point d’accidents si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudents ne puissent tourner à leur préjudice.
60
La fortune tourne tout à l’avantage de ceux qu’elle favorise.
61
Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune.
62
La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens; et celle que l’on voit d’ordinaire n’est qu’une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.
63
L’aversion du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d’attirer à nos paroles un respect de religion.
64
La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal.
65
Il n’y a point d’éloges qu’on ne donne à la prudence. Cependant elle ne saurait nous assurer du moindre événement.
66
Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts et les conduire chacun dans son ordre. Notre avidité le trouble souvent en nous faisant courir à tant de choses à la fois que, pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables.
67
La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l’esprit.
68
Il est difficile de définir l’amour. Ce qu’on en peut dire est que dans l’âme c’est une passion de régner, dans les esprits c’est une sympathie, et dans le corps ce n’est qu’une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime après beaucoup de mystères.
69
S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui qui est caché au fond du cœur, et que nous ignorons nous-mêmes.
70
Il n’y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l’amour où il est, ni le feindre où il n’est pas.
71
Il n’y a guère de gens qui ne soient honteux de s’être aimés quand ils ne s’aiment plus.
72
Si on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié.
73
On peut trouver des femmes qui n’ont jamais eu de galanterie; mais il est rare d’en trouver qui n’en aient jamais eu qu’une.
74
Il n’y a que d’une sorte d’amour, mais il y en a mille différentes copies.
75
L’amour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mouvement continuel; et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre.
76
Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits: tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.
77
L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, et où il n’a non plus de part que le Doge à ce qui se fait à Venise.
78
L’amour de la justice n’est en la plupart des hommes que la crainte de souffrir l’injustice.
79
Le silence est le parti le plus sûr de celui qui se défie de soi-même.
80
Ce qui nous rend si changeants dans nos amitiés, c’est qu’il est difficile de connaître les qualités de l’âme, et facile de connaître celles de l’esprit.
81
Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous, et nous ne faisons que suivre notre goût et notre plaisir quand nous préférons nos amis à nous-mêmes; c’est néanmoins par cette préférence seule que l’amitié peut être vraie et parfaite.
82
La réconciliation avec nos ennemis n’est qu’un désir de rendre notre condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque mauvais événement.
83
Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts, et qu’un échange de bons offices; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.
84
Il est plus honteux de se défier de ses amis que d’en être trompé.
85
Nous nous persuadons souvent d’aimer les gens plus puissants que nous; et néanmoins c’est l’intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir.