1851 г. Июня 22. Старый Юрт.
Chère Tante!
J’ai été longtems sans vous écrire; mais aussi je n’ai reçu de vous que quelques mots dans la lettre de Valérien.>1 Позвольте вамъ за это сдѣлать выговоръ.
Je suis arrivé sain et sauf, mais un peu triste vers la fin du mois de mai dans la Старогладовская.>2 J’y ai vu de près le genre de vie que mène Nicolas>3 et j’y ai fait la connaissance des officiers, qui font sa société. — Le genre de vie n’est pas très attrayant à ce qu’il m’a paru, d’abord: puisque le pays, que je m’attendais à trouver fort beau ne l’est pas du tout. Gomme la станица est située sur un [terrain] bas il n’y a pas de point de vue, puis le logement est mauvais de même que tout ce qui fait le comfort de la vie. Pour ce qui est des officiers ce sont comme vous pouvez vous le figurer des gens sans éducation, mais avec cela de très braves gens et surtout aimant beaucoup Nicolas. Алексѣевъ,>4 son chef, est un petit bonhomme, бѣлокуренькій tirant sur le roux, съ хохольчикомъ, съ усиками и бакенбардами, говорящій пронзительнымъ голосомъ, mais excellent homme, bon chrétien rappelant un peu Алекс. Серг. Воейковъ,>5 mais pas caffard comme lui. — Puis Бу[емскій]>6 un jeune officier — enfant et bon enfant rappelant Петруша.>7 — Puis un vieux capitaine Хилковскій8 des kosaks de l’Oural, un vieux soldat simple mais noble, brave et bon. — Je vous avouerai qu’au commencement beaucoup de choses me choquaient dans cette société, mais je m’y suis habitué sans toute fois m’être lié avec ces messieurs. J’ai trouvé une heureuse moyenne dans laquelle il n’y a ni fierté ni familiarité, au reste en ceci je n’avais qu’à suivre l’exemple de Nicolas. A peine arrivé Nicolas reçut l’ordre de partir въ Староюртовское укрѣпленіе>9 для прикрытія больныхъ въ Горячеводскомъ лагерѣ.>10 On a découvert depuis peu des eaux chaudes et minérales de différentes qualités qui sont dit-on très salutaires pour toutes les maladies de refroidissement, de blessures et surtout pour les maladies..... On dit même que ces eaux sont de meilleure qualité que celles de Пятигорскъ.>11 — Nicolas est parti dans une semaine après son arrivée et moi je l’y ai suivi, de sorte que nous sommes presque depuis trois semaines ici,>12 où nous logeons dans une tente, mais comme le temps est beau et que je me fais un peu à ce genre de vie, je me trouve très bien. Ici il y a des coups d’oeil magnifiques: à commencer par l’endroit où sont les sources; c’est une énorme montagne de pierres l’une sur l’autre dont les unes se sont détachées et forment des espèces de grottes, les autres restent suspendues à une grande hauteur toute coupée par les torrents d’eau chaude, qui tombent avec bruit dans quelques endroits et couvrent, surtout le matin, toute la partie élevée de la montagne d’une vapeur blanche qui se détache continuellement de cette eau bouillante. L’eau est tellemeht chaude qu’on cuit dedans les oeufs (въ крутую) en trois minutes. — Au milieu de ce ravin sur le torrent principal il y a trois moulins, l’un au-dessus de l’autre. Ces moulins se construisent ici d’une manière toute particulière et très pittoresque. Toute la journée les femmes Tartares>13 ne cessent de venir au-dessus et au dessous de ces moulins pour laver leur linge. Il faut vous dire qu’elles lavent avec les pieds. C’est comme une fourmilière toujours remuante. Les femmes sont pour la plupart belles et bien faites. Le costume des femmes orientales malgré leur pauvreté est gracieux. Les groupes pittoresques que forment ces femmes, joints à la beauté sauvage de l’endroit, font un coup d’oeil véritablement admirable. Je reste très souvent des heures à admirer ce paysage. Puis le coup d’oeil du haut de la montagne est encore plus beau et tout à fait dans un autre genre; mais je crains de vous ennuyer avec mes déscriptions. Je suis très content d’être aux eaux puisque j’en profite. Je prends des bains d’eau ferrugineuse et je ne sens plus de douleurs aux pieds. J’avais toujours des rhumatismes, mais pendant notre voyage sur l’eau je crois que je me suis encore refroidi. Je me suis rarement aussi bien porté qu’à présent et malgré les grandes chaleurs je fais beaucoup de mouvement. Ici le genre des officiers est le même que de ceux dont je vous ai parlé; il y en a beaucoup. Je les connais tous: et mes relations avec eux sont les mêmes. Dites à Serge que je l’embrasse et que ce que je vous écrit est tout à fait la même chose que ce que je lui aurais écrit à lui, et que j’attends une lettre de lui. Il sait bien ce qui peut m’intéresser, donc il ne lui sera pas difficile de remplir sa lettre. — Adieu, chère Tante, je baise vos mains.