1850 г. Декабря 7. Москва.
Jeudi се 7 décembre.
Chère Tante. —
Je suis arrivé à Moscou, mardi à 5 heures du matin, en vie; mais pas en bonne santé, ma fluxion a augmenté et me retient jusqu’à présent chez moi, de sorte que, depuis deux jours que je suis à Moscou je n’ai fait qu’une seule course — je suis allé faire dire un Te Deum à notre Dame>1 d’Iverskai[a]. J’ai chargé des affaires, en attendant que je sois en état de les faire moi même, Pierre,>2 que j’ai trouvé dans le plus grand chagrin, ou bien affectant de l’être. Il est venu hier matin tout éploré et la figure de travers se jeter à mes pieds pour me demander pardon, de ce que s’étant grisé il s’est laissé voler 500 r. arg. qu’il avait apporté pour payer à la Banque. — Le récit de ce malheur, comme vous pouvez vous le figurer, fait par un orateur de sa force, a été très pathétique et très long, c’est pour cela que je vous en fais grâce; — Il a présenté une supplique à la Police, on a fait des recherches et l’on a retrouvé 350 r. arg. le reste c. à d. 150 doit être perdu, le mal n’est pas bien grand, vous concevez. Il a arrangé les affaires à la Banque pas tout à fait comme on pouvait le désirer mais au pis aller c’est toujours quelque chose — le terme du payement n’est que retardé. J’écris en détail de toutes les affaires à Serge.>3 —
Je suis arrivé directement chez le Prince Serge>4 pour avoir des nouvelles de mes gens et je les ai trouvés encore là, le logement n’était pas encore pris, à cause d’un retard arrivé à la poste, avec laquelle j’avais envoyé les 25 r. à Nicolas;>5 j’ai été donc obligé de m’arrêter à un hôtel>6 où j’ai passé quelques heures et d’où j’ai déménagé dans mon logement, dont je suis fort content c’est la maison Loboff au Сивцевъ Вражекъ въ старой Конюшенной>7 que j’ai gardée à raison de 40 r. arg. avec mon chauffage ce qui fait une affaire de 50 r. — Je n’ai vu en fait de conaissances qu’Islénieff>8 qui continue à jouer et par conséquent à perdre, Ozéroff>9 qui se trouve très heureux et qui est venu me faire visite avec sa femme et Dmitri Calochine,>10 qui continue à se plaindre de ses parents. —
Gomme vous êtes amateur d’histoires tragiques, je vais vous en raconter une qui fait bruit à Moscou. Un certain Mr. Kabiline entretenait une certain[e] M-me Simon et lui avait donné pour la servir deux hommes et une femme de chambre. Or Mr. Kabiline avant qu’il n’ait entretenu cette M-me Simon avait été en liaison avec M-me Narichkine née Knor[r]ing, une femme de la meilleure société de Moscou et une femme très à la mode et, quoiqu’entretenant M-me Simon, n’avait pas cessé d’être en corespondance avec elle; sur ces entrefaites on trouve un beau matin M-me Simon assassiné[e] et de[s] preuves certaines qu’elle l’a été pa[r] ses propres gens. — Ceci ne serait encore rien mais en arrêtant Kabiline la Police a trouvé dans ses papiers des lettres de M-me Narichkine dans lesquelles M-me Nar. lui reproche de l’avoir délaissé[e] et menace M-me Sim. ce qui fait qu’on est convaincu encore par beaucoup d’autres raisons que les assasins n’ont été que les instruments de M-me Nar.>11
Je ne vous ai pas raconté le tour pendable que m’a joué André>12 à Toula. Figurez vous qu’au lieu de me donner à souscrire une lettre de change de 250 r. comme c’était convenu il m’a voulu faire signer, croyant que je[ne] lirai pas le papier comme j’en ai l’habitude. Quelle vilenie! M-le Vergani>13 m’avait prié de sa voir par quel moyen on peut envoyer de l’argent à Vienne? Dite lui qu’elle n’a qu’à m’envoyer l’argent qui sera expédié sans retard ou bien, si elle le préfère, elle peut l’envoyer elle-même à l’adresse suivante на Маросейку въ контору Бургарта,>14 въ собственный домъ. — Serge Kalochine>15 n’est pas mari[é] comme on le disait mais il est devenu beaucoup plus rangé et travaille beaucoup à des traductions de roman[s] dans des journaux et à faire des nouvelles qu’il fait imprimer. Je n’ai rien lu de lui mais on dit qu’il a beaucoup de talent et que ses petites pièces sont fort joli[e]s; au moins il gagne honnêtement sont pain et plus de pain que n’en rapportent 300 paysans.